Faufilage au thalweg
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Faufilage au thalweg

Atelier Silex

Trois-Rivières, Mauricie, Québec

Exposée du 15 décembre 2016 au 31 janvier 2017

Coordinatrice artistique :Audrey Labrie




Texte de Julie Alary Lavallée

Avril 2017



Ancrage au fond et dans l’air de la vallée du Saint-Laurent


Matthieu Pilaud s’engage dans des projets où s’entrecroisent données mathématiques, géomorphologiques et topographiques. Plongées dans la mémoire des lieux, ses oeuvres majoritairement sculpturales et in situ entrent en dialogue avec l’histoire locale, s’articulant en fonction d’un système de formes et de structures dont la matérialité réactive certaines visées universelles de l’art moderne. Faufilage au thalweg, une exposition réunissant les œuvres créées par l’artiste lors d’une résidence réalisée à l’Atelier Silex de Trois-Rivières, puise ses racines à la fois au fond de la vallée du Saint-Laurent, dans la profondeur de ce puissant cours d’eau qui transperce la province québécoise et en façonne l’identité, ainsi que dans son complément, l’air.


Plutôt épurées, minimales, à l’échelle humaine et éphémères, les sculptures de Pilaud s’inscrivent dans la répétition des formes générée par la sérialité que permettent l’industrialisation et l'ingénierie, mais aussi par des techniques plus anciennes. Souvent effectuées à partir de matériaux de construction solides, comme le bois, le métal et le plâtre, celles réalisées ici reposent, à l’inverse, sur l’usage d’une matière plus modeste et pliable, le masonite. Sans l’intervention de la découpe à la machine et la répétition du geste engendrée par l’intermédiaire d’une mécanique lourde, Pilaud opte plutôt pour y disséquer la matière manuellement et plus modestement. Comme l’oscillation entre les contraires et leur enchevêtrement fait partie des caractéristiques intrinsèques de sa pratique, le fait main, repéré également dans l’application de pigment noir sur la surface des sculptures, est couplé à l’assemblage des pièces au faufilage, une technique de couture provisoire exécutée à la machine.

Santa Maria Assunta, une série de huit structures blanches réalisée lors de la résidence, met en œuvre un jeu de symétrie exploité par les possibilités d’assemblage. À partir de contraintes qu’il s’impose, Pilaud puise dans la règle d’or, une combinaison mathématique proportionnelle connue sous le nom de la règle de trois. Par le biais de ce système, il réalise quatre duos de triangles de différentes dimensions qu’il répète huit fois afin de former à chacune des huit pièces de la série. Alors que chaque couple de triangles similaires s’y trouve groupé de manière à produire un effet miroir, leur juxtaposition aux trois autres couples triangulaires similaires fait émerger, quant à elle, une séquence de courbes convexes et concaves. Si chacun des huit modules résulte de la combinaison des mêmes quatre couples de triangles, toujours disposés en face à face et de grandeur diverse, leur forme s’y trouve à tout coup renouvelée dans l’espace.


Disposées tant au sol qu’au mur, les structures générées par la rigidité des calculs procurent pourtant un caractère organique à l’œuvre, nouant des liens avec la nature et la culture. Alors que les projets antérieurs et in situ de l’artiste s'inspirent pour la plupart de l’environnement naturel et bâti des lieux occupés - passant de l’architecture religieuse, totalitaire et industrielle à l’urbanisme - Santa Maria Assunta entre en dialogue avec la cathédrale de Sienne en Italie, dont la particularité architecturale repose notamment sur son espace intérieur ornementé de larges bandes horizontales noires et blanches. Constitués eux aussi de lignes, les huit éléments angulaires de la série Santa Maria Assunta s’apparent aisément à des structures futuristes ou encore à des artefacts ethnographiques de provenance inconnue.


Ces prototypes binaires, tous uniques et principalement élaborés à partir des contraires noir/blanc et concaves/convexes, entrent d’emblée en relation avec les codes et aspirations de l’art moderne. Cette binarité constante et contrastante dans la pratique de Pilaud se trouve d’ailleurs aussi mise à profit dans l’usage des deux salles d’exposition; l’une typiquement white cube et l’autre plongée dans la noirceur théâtralisée de la black box. Ponctuée de lignes courbes noires qui se ferment, se connectent entre elles et se perdent àl’infini, l’œuvre Santa Maria Assunta interagit avec le dedans et le dehors. Leur sortie du cadre fait écho à l’ouverture sur les possibles, à l’ampleur de l’univers dont la compréhension logique et la synthèse ont particulièrement fait l’objet de recherches scientifiques lors de l’époque moderne. Pensons notamment à Einstein qui s’est attelé à expliquer et à réduire maints phénomènes physiques du monde, tant macro ou micro à partir de formules, ou encore à l’historien de l’art Clement Greenberg qui prônait l’importance de la simplification de l’art à l’essence des médiums, jusqu’à leur abstraction et à ce qu’ils finissent par s’auto référencer.


À l’instar de ces aspirations modernes intéressées à la contraction du monde en une logique applicable universellement, cette série d’œuvres participe au développement d’un langage systémique qui permet à l’artiste de proposer lui aussi une synthèse de l’expérience du monde, mais consciente de ses propres limitations. Cette ouverture sur l’extérieur affirme les limitations de la logique interne de ses œuvres, comme si elles incarnaient des fragments de l'incommensurabilité de l’univers et nécessitaient paradoxalement l’extérieur pour exister. Sans chercher à être autonomes et à se replier sur elles-mêmes, ses pièces sont intrinsèquement dépendantes du dehors.

Santa Maria Assunta

2016

masonite ( panneaux de fibres de bois), acier, peinture

Depuis le début de sa carrière, Pilaud s’intéresse aux imprévus, aux effets de surprise en cours de processus, au suspense ou à l’attente que génère par exemple la photographie argentique et l’inversion produite par la technique du moulage. Dans cet esprit, Pilaud récupère en cours de route les retailles de Santa Maria Assunta pour constituer Ascendance. À force de répéter les mêmes gestes, lors de la taille des triangles à même un patron élaboré dans une planche de masonite, des réseaux de lignes se creusent davantage dans la matière. L’artiste choisit de disposer la planche de masonite, ponctuée de lignes creuses, au coeur d’une salle plongée dans le noir sur laquelle il dispose les retailles, les bandelettes courbées des triangles. L’œuvre prend ainsi des allures d’autoroute du futur, d’une maquette illustrant les plans de construction d’une cité nouvelle, où les creux rappellent également les dénivellations du fleuve Saint-Laurent. Surmontée des retailles qui la dynamisent, Ascendance s’inspire, pour paraphraser l’artiste, d’un phénomène météorologique et thermodynamique selon lequel une parcelle d’air peut se déplacer vers une altitude plus élevée.


Dans un esprit de progression et de continuité avec elle-même, la pratique de Pilaud s’érige sur les explorations et découvertes de ses projets antérieurs, mais aussi dans la filiation de l’histoire de la sculpture moderne. Or, il serait erroné de s’arrêter ici. Ses projets baignent également dans l’hétérogénéité de la sculpture contemporaine, dans ce que l’historienne de l’art Rosalind Krauss entend par le “champ étendu de la sculpture”1. Les œuvres de Trois-Rivières en incarnent un bel exemple. Déployées à coup d’exploration de la matière, elles marquent un nouveau tournant dans la pratique de l’artiste avec l’intégration “étrangère” de pigments pourtant propres au médium pictural. Cela laisse donc présager que cette orientation nouvelle, ou encore “contamination” par la peinture, guidera fort probablement l’élaboration de ses projets à venir qu’ils se déploient en galerie ou avec prestance quelque part dans le paysage.



1Notre traduction. Rosalind Krauss (1979), “Sculpture in the Expanded Field”, October, vol. 8, p. 44.


Ascendance

2016

masonite ( panneaux de fibres de bois), peinture

2,5x 1,25 x 1,2 mètres

Production :

Atelier Silex, Consulat général de France


Aide logistique :

Martin brousseau


Aide à la réalisation:

Henri Morisette

Myriam Fauteux

Gabriel Mondor

Catherine Archambault


Assistant à l'installation :

Jean-Marie Gagnon


Photographies :

©Martin Brousseau